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Dakini 2

Ḍākinī et l’Empereur 2

4. Inari, le renard et ḍākinī / Dakini-ten Retourner à la Table des Matières
Il faut maintenant passer à une revue rapide des croyances de la divinité japonaise Inari, à laquelle les ḍākinī / Dakini-ten a (ou ont) été associée(s) ou identifiée(s)(42). Comme beaucoup de divinités indigènes du Japon ancien, la nature du culte d’Inari est d’une extrême complexité, et même beaucoup de Japonais auraient du mal à répondre à la question : si Inari est un dieu ou une déesse (personnellement, je croyais jusqu’à tout récemment qu’Inari était un dieu. — En réalité, bien que l’Inari de Fushimi-Inari, sanctuaire d’où le culte d’Inari commença, paraisse être sans doute une déesse, bien d’autres Inari semblent de sexe indéterminé ; la plupart des Japonais de nos jours croient qu’Inari est simplement un “renard divin”...). Selon une statistique, il existerait actuellement quelque 30.000 sanctuaires d’Inari au Japon, soit à peu près 40 % de tous les sanctuaires shintō du pays : il est certainement le culte shintoïste le plus répandu. Cependant, même l’assertion que le culte d’Inari est shintoïste n’est pas tout à fait conforme à la réalité ; pratiquement aucun culte japonais n’est ni purement shintoïste, ni purement bouddhique, mais dans le cas d’Inari, la complexité est d’autant plus grande que le culte est ancien et répandu. Le regretté Gorai Shigeru 五來重, sous la direction de qui une étude systématique des croyances relatives à Inari a pu être menée, a proposé de distinguer dans celles-ci deux couches ou “strates” : d’une part, la couche de “religion primitive”, dans laquelle se trouvent amalgamées toutes sortes de croyances spontanées du peuple, qui sont peu articulées ou théorisées, mais où l’on peut cependant relever plusieurs lignes de force importantes ; d’autre part, la couche des croyances ou des théories shintoïstes et/ou bouddhiques, qui s’est superposée à la précédente(43). En fait, cette “stratification” n’a pas nécessairement une valeur historique, c’est-à-dire que la couche de la “religion primitive” n’est pas toujours plus ancienne que celle des théories shintoïstes ou bouddhiques ; les deux couches peuvent aussi bien être historiquemnt contemporaines. D’autre part, la distinction entre ces deux couches peut être elle-même forcée ou artificielle. Il n’empêche qu’elle semble avoir une grande efficacité méthodologique, non seulement pour l’étude du culte d’Inari, mais sans doute pour toutes sortes de cultes populaires japonais plus ou moins répandus. Il n’est pas possible de suivre ici les détails des explications proposées par Gorai, mais il faut dire au moins qu’il a vu dans la couche des croyances primitives relatives à Inari trois tendances majeures, à savoir : 1. croyances à une divinité de nourriture ; 2. celles à une âme d’ancêtre, ou à une âme de mort active dans le monde ; 3. celles à une divinité des élément de la nature, et en particulier du feu.
Ceci dit, nous tenterons de présenter ici quelques aspects du culte d’Inari, en nous concentrant surtout sur l’époque ancienne.
Comme pour beaucoup de cultes japonais, le mot “Inari” est à la fois le nom d’un endroit (le Mont Inari, à Fushimi 伏見, dans le Sud de Kyōto), d’un sanctuaire qui se trouve au pied de ce Mont, et d’une divinité, celle dont le culte a commencé à ce sanctuaire et s’est répandu partout dans le pays. En réalité, il existe plus précisément cinq sanctuaires à Fushimi-Inari 伏見稻荷, dont trois, nommés respectivement Sanctuaire du Haut, Sanctuaire du Milieu et Sanctuaire du Bas, sont particulièrement importants. Selon une habitude ancienne du shintō, on identifie la divinité de chacun de ces sanctuaires à l’un ou à l’autre dieu de la “mythologie orthodoxe” japonaise : par exemple, actuellement, le Sancturaire du Haut est censé consacré à Ōmiya-no-me-no-ōkami 大宮能賣大神, le Sanctuaire du Milieu à Sata-hiko-no-ōkami 佐田彦大神 ou Saruta-hiko-no-ōkami 猿田彦大神, et le Sanctuaire du Bas à Uka-no-mi-tama-no-ōkami 宇迦之御魂大神 (mais ces identifications ont varié dans l’histoire)(44). En général, ces identifications ou attributions sont souvent forcées et abusives, et il est plus prudent de les tenir pour de simples indications permettant d’entrevoir vaguement la nature des divinités vénérées. Néanmoins, dans le cas du culte d’Inari, elles peuvent nous aider à y voir plus clair.
D’après la tradition, le culte d’Inari a commencé en 711 (ou entre 708-715) au Mont Inari de Kyōto, comme un culte privé du clan Hata 秦, descendante d’une famille émigrée anciennement du Continent. Parmi les trois divinités qu’on vient de mentionner, il semble bien que ce soit Uka-no-mi-tama-no-ōkami qui correspond à Inari proprement dite. C’est une déesse de la nourriture en général : le mot uka ou uke, ou encore ke, signifie dans l’ancien japonais “nourriture” ; tama désigne une chose sphérique précieuse, “joyau” ou “pierre précieuse” (ce mot s’écrit avec le caractère chinois yu 玉 qui a le sens de “jade”), et dans un sens plus abstrait, “âme, esprit, esprit vital”, etc.(45) le nom “Uka-no-mi-tama-no-ōkami” peut être donc traduit comme “Grande Déesse Ame de la Nourriture”.
Il existe dans le panthéon de la mythologie japonaise plusieurs déesses de la nourriture qui peuvent être classées dans une même catégorie, comme Uka-no-mi-tama-no-kami, Toyu-uke-no-kami 登由宇氣神 ou Ō-getsu-hime-no-kami 大宜都比賣神. Cette dernière a en particulier un mythe tout à fait typique d’une déesse de fertilité : un jour, le dieu Susano-o-no-kami 須佐之男神, connu par sa violence virile, a demandé à Ō-getsu-hime de lui offrir de la nourriture ; elle a fait sortir alors de la nourriture de toutes sortes de son nez, de sa bouche et de son anus ; le dieu a trouvé cela impur et offensant, et a tué la déesse sur le champ ; de son cadavre sortirent alors des vers de soie et des graines de cinq céréales, c’est-à-dire le riz, le millet, le haricot rouge, le blé et le soja. Ce mythe, dont on peut relever de nombreuses variantes aussi bien au Japon que chez beaucoup de peuples de régions tropicales (il appartient à un type de mythes classés par A. E. Jensen comme “mythes de Haïnuwélé”)(46) semble bien montrer le caractère originel de ces déesses de nourriture dont Inari paraît être (en partie) une héritière.
Les deux autres dieux qui font partie de l’ensemble du culte de Fushimi-Inari, à savoir Sata-hiko-no-ōkami (ou Saruta-hiko-no-ōkami) et Ōmiya-no-me-no-ōkami peuvent être considérés plus ou moins comme les parents (père et mère) d’Inari (Uka-no-mi-tama). Pour caractériser Ōmiya-no-me, on peut la comparer peut-être à Ama-no-uzume-no-kami 天鈿女神, celle qui a dansé devant la grotte où Amaterasu ōmi-kami 天照大神 (la Déesse solaire de la mythologie japonaise) s’était cachée ; elle dévoila alors son sexe et ses seins, ce qui fit rire les dieux qui étaient assemblés à ce spectacle ; et ayant entendu ce rire, Amaterasu apparut de la grotte pour voir ce qui se passait ; le mythe raconte qu’ainsi, le monde a pu retrouver la lumière. Il s’agit d’une déesse de transe médiumnique, qui sert à la fois comme prêtresse-chamane dans l’office offert aux dieux, et comme une sorte de comédienne dans les spectacles des fêtes. Saruta-hiko est un dieu à un visage monstrueux, avec un grand nez très long et les yeux rouges brillants ; il a des rapports étroits avec Ama-no-uzume et, dans le cas du culte d’Inari, il peut être considéré d’une certaine manière comme le mari d’Ōmiya-no-me. Mais plutôt que d’identifier à ce Saruta-hiko de la mythologie orthodoxe, ce dieu masculin du culte de Fushimi-Inari semble avoir été à l’origine à la fois le dieu du sol du Mont Inari, et le dieu-ancêtre du clan Hata, dont il existait probablement des tumulus anciens au sommet de ce mont(47).
De fait, l’une des caractéristiques du culte d’Inari est le fait que beaucoup de ses sanctuaires se trouvent sur des terrains où il y avait des tombeaux anciens ou des tumulus. Il en existe aussi qui se situent dans des cimetières plus récents ; d’autres Inari sont censé(e)s représenter les âmes divinisées des morts qui sont morts de mort violente ou qui sont morts en ayant des rancunes (goryō 御靈, “Auguste Ame” ou onryō 怨靈, “Ame rancunière”).
On peut mentionner ici une théorie proposée par Gorai, qui essaie de rendre compte de la profonde affinité du renard avec le culte d’Inari : en effet, le mot kitsune qui désigne le renard, remonte à l’ancien japonais ketsune ; or, ke dans ce mot serait, selon Gorai, le même que ke (uka ou uke) qui apparaît dans le nom de la déesse Uka-no-mitama (et aussi dans les noms Toyu-uke, Ō-getsu-hime), et signifie “nourriture” ; tsu est l’équivalent ancien de no, le particule établissant un rapport de possession ou de dépendance entre les noms qui les entourent ; enfin, ne dans ke-tsu-ne aurait le sens de “racine” — ce qui donne comme le sens originel du mot ke-tsu-ne quelque chose comme «Racine de nourriture». Le renard, qui vit le plus souvent dans des zones limitrophes des zones habitées ou cultivées par les hommes, font de fréquentes apparitions dans les champs ou les rizières ; ce serait la raison pour laquelle il aurait été regardé de tout temps comme un animal incarnant l’«esprit de la nourriture». D’autre part, le renard se fait souvent son nid dans des trous des tumulus anciens ; il peut être parfois un mangeur de charogne comme le chacal, et il est comme lui un animal familier des cimetières ; le fait qu’il sort des trous de tumulus l’aurait facilement fait considérer comme une incarnation de l’âme de mort ou d’ancêtre(48). Bien que les documents écrits témoignant clairement de l’existence de l’association entre Inari et le renard ne semblent pas remonter très haut (l’un des textes les plus anciens est sans doute le Shin-sarugaku-ki 新猿樂記 de Fujiwara no Akihira 藤原明衡, composé vers 1052, où il est question d’une renarde appelée Akomachi 阿小町 d’Inari(49) [cf. ci-dessous]), il est possible qu’elle ait eu des origines dans un passé beaucoup plus lointain. En tout cas, de nos jours, le mot Inari évoque immédiatement le renard à tout Japonais.
Le culte d’Inari a aussi de profondes affinités avec le bouddhisme, et notamment avec les traditions concernant le Tōji 東寺 (autre nom du Kyōō-gokoku-ji 教王護國寺), l’un des monastères les plus importants de l’Ecole Shingon qui se trouve dans le Sud de Kyōto, près du sanctuaire de Fushimi-Inari. On peut lire dans l’Inari-daimyōjin ryū-no-ki 稻荷大明神流記 la légende qui peut être résumée ainsi(50) :
Au cours d’un voyage de pérégrinations ascétiques, Kūkai 空海 (774-835 ; célèbre fondateur du Tōji et de l’Ecole Shingon elle-même) fit la rencontre d’un vieillard étrange à une auberge de Tanabe 田邊, dans la province de Kishū 紀州 (aujourd’hui la préfecture de Wakayama) ; bien que ce fût la première fois qu’ils se soient vus, ils se reconnurent tout de suite, car l’un et l’autre s’étaient connus dans une vie antérieure, à l’assemblée des auditeurs du Buddha Śākyamuni au Mont Gṛdhrakūṭa de Rājagṛha, en Inde. Ils furent réjouis de cette retrouvaille ; Kūkai invita alors le vieillard à venir le voir au monastère de Kyōto qu’il projetait de construire. Plusieurs années plus tard, lorsque le Tōji était déjà bâti, le vieillard vint le revoir à la Porte Sud du monastère, en portant des épis de riz (ine wo ninai 稻を荷い...) sur le dos et des branches de cyprès à la main, en emmenant avec lui deux filles (ou femmes ?) (ni-jo 二女) et deux enfants. Kūkai, transporté de joie, lui fit le don de sermon (pour qu’il puisse obtenir l’Eveil bouddhique) ; et tous ses disciples, aussi bien religieux que profanes, lui offrirent à manger. Il resta quelque temps dans une maison appartenant au Notable Shibamori (Shibamori chōja 柴守長者) près du Tōji (c’est le tabisho 旅所, “résidence temporaire” d’Inari, où la divinité est installée momentanément lors des fêtes), et s’établit enfin au Mont Inari, où était la forêt d’où les bois destinés à la construction du Tōji avaient été tirés.
Ici, Inari apparaît sous la forme d’un vieillard. Que le texte dise qu’’il emmenait avec lui “deux filles (ou femmes) et deux enfants” s’explique sans doute par la composition des sanctuaires de Fushimi-Inari (il y avait cinq sanctuaires consacrés à différentes divinités ; cf. ci-dessus). Doit-on penser que ce vieillard correspond au dieu du sol du Mont Inari, qui semblerait être le père de la déesse Inari (et non à la déesse Inari elle-même) ? Cela n’est pas sûr ; les divinités japonaises ont souvent un caractère si fluide qu’elles peuvent très bien apparaître sous des formes variées. Le nom d’Inari, qui s’écrit 稻荷, avec les caractères signifiant “riz” et “porter”, est expliqué ici par le fait que ce vieillard “portait des épis de riz sur le dos” ; ce n’est sans doute qu’un jeu de mots, mais cela montre bien le caractère du dieu (déesse) qui est l’esprit de la nourriture et surtout du riz.
Ce texte est attribué à Shinga 眞雅 (801-879), frère cadet et disciple de Kūkai ; cette attribution est manifestement fausse, et le texte lui-même ne peut pas remonter plus haut que le milieu de l’époque Kamakura (vers le milieu du XIIIe siècle ou plus tard)(51). Cependant, il existe des documents historiques du temps de Kūkai, qui attestent que le bois pour la construction du stūpa du Tōji fut effectivement tiré du Mont Inari. De plus, il est possible de croire qu’il y avait dans ce Mont des anachorètes du genre de Yamabushi, avec lesquels Kūkai et ses disciples ont pu avoir des contacts étroits(52). Les rapports entre Inari et le Tōji (et donc l’Ecole Shingon) ont existé sans doute dès le temps de Kūkai lui-même.
Quoi qu’il en soit, on sait qu’Inari fut depuis une époque ancienne considérée comme la divinité protectrice du Tōji, et à la fête d’Inari, on portait le mikoshi [petit sanctuaire portatif porté par les hommes lors des fêtes shintoïstes] d’Inari à la Porte Centrale du monastère, où les religieux l’attendaient, avec des offrandes appelées futomagari 太摩我里, qui étaient des gâteaux de riz frits dans de l’huile (ce rituel, qui était pratiqué au moins depuis l’époque Muromachi, se fait encore de nos jours)(53). Cette offrande est la forme ancienne de la mince tranche frite de fromage de soja (aburage 油揚げ ou usuage 薄揚げ) qu’on offre de nos jours encore aux renards des sanctuaires d’Inari, partout dans le pays (il existe d’ailleurs un met appelé inari-zushi 稻荷壽司 ou plus familièrement o-inari-san お稻荷さん [“Madame Inari”...], qui est la tranche frite de fromage de soja farcie de riz bouilli et vinaigré) ; mais bien curieusement, elle rappelle de près l’offrande consacrée à Shōten (ou Shōden) 聖天, la forme sino-japonaise du dieu-éléphant de l’Inde Gaṇeśa (appelé aussi Gaṇapati). Cette offrande, nommée “Boulette de joie” (kangi-dan 歡喜團, sk. modaka), est une sorte de friandise frite en forme de boulette, et est connue comme le gâteau préféré du gourmand Gaṇeśa. Or, cette ressemblance n’est sans doute pas due au hasard, et voici pourquoi —.
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5. Ḍākinī, dieu éléphant Gaṇeśa et les Mères-Déesses Retourner à la Table des Matières
On peut lire dans un écrit sur les rituels ésotériques de Shukaku 守覺 (1150-1202 ; deuxième fils, entré en religion, de l’Empereur Go-shirakawa 後白河), rédigé vers 1179, le passage suivant(54) :
[Selon une tradition, Kōbō] Daishi[弘法]大師 [titre posthume de Kūkai] dit qu’il y a dans ce monastère [i.e. Tōji] une divinité singulière appelée Yasha-jin 夜叉神 (Génie Yakṣa). Elle n’est autre que Matara 摩多羅 ; celui-ci communique les bonnes et mauvaises augures à ceux qui le servent ; sa forme est à trois faces et à six bras, etc. Ses trois faces représentent les Trois Grands (san-dai 三大) [“Trois Grands Principes”, c’est-à-dire probablement, le Substantiel, l’Activité et le Caractère]. La face centrale est de couleur dorée, celle de gauche, blanche et celle de droite, rouge. La face centrale est le Dieu Saint (Shōden, i.e. Gaṇapati), celle de gauche, Dakini et celle de droite, Sarasvatī. Il faut lui rendre culte le quinzième jour de tous les mois. [...] L’Ecrit [du Daishi] des années Tenchō (Tenchō gyoki 天長御記) [ouvrage inconnu ; les années Tenchō correspondent à 824-834, du temps de Kūkai] dit : «Au Tōji, il y a des divinités protectrices ; ce sont des messagers de la Claire Divinité Inari. Ils sont appelés des Génies-messagers de la Grande Pensée d’Eveil».
Ainsi, vers la seconde moitié du XIIe siècle, Inari était associée à cette “divinité singulière” du Tōji, qui était une sorte de divinité composite en laquelle s’amalgamaient Gaṇeśa (au centre), Dakini(-ten) et Sarasvatī (une ancienne déesse indienne de rivière, déesse de l’éloquence et de la fécondité) à gauche et à droite. On comprend alors pourquoi une offrande semblable à celle donnée à Gaṇeśa a pu être offerte à Inari.
Nous devons faire ici une petite digression sur cette nouvelle divinité, pour revenir ensuite à Inari et à Dakini-ten. — Que cette divinité ait été appelée “Matara” peut faire beaucoup rêver, car phonétiquement, ce mot est manifestement une transcription de la forme plurielle du sk. mātṛ (mātaraḥ), c’est-à-dire les “Mères-Déesses”, dont nous avons vu qu’elles étaient étroitement liées à Mahākāla (aussi bien dans l’hindouisme que dans le bouddhisme)(55) ; de plus, on sait que les mātaraḥ hindoues sont associées à Gaṇeśa aussi, puisque dans la plupart des représentations iconographiques de celles-ci, Gaṇeśa est présent comme leur chef(56). Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’on peut trouver en Inde même une sorte d’«antécédent» de cette divinité-triple (un dieu avec deux déesses, ou une déesse avec deux dieux) : en effet, il existe au moins une sculpture indienne qui remonte à l’époque Kuṣāṇa, où il y a une Lakṣmī au centre entourée de Gaṇeśa et de Kubera ; et à l’époque moderne, on trouve en Inde beaucoup d’affiches populaires dans lesquelles Gaṇeśa est figuré avec deux déesses de fécondité, Lakṣmī et Sarasvatī(57).
A propos de cette curieuse divinité protectrice du Tōji, il faut mentionner encore un texte de Gōhō 杲寶 (1306-1362), qui fut un grand docteur de ce monastère au XIVe siècle. Dans son ouvrage intitulé “Tōbō-ki 東寶記” où il décrit son monastère, Gōhō dit qu’il y avait “deux Yasha-jin” qui gardaient la Porte Centrale du monastère. Celui de l’Est est un Yakṣa mâle, ayant pour “Terre originelle” Mañjusrī, tandis que celui de l’Ouest est une Yakṣiṇī femelle, ayant pour “Terre originelle” Ākāśagarbha ; les deux auraient été sculptés par Kūkai lui-même. Gōhō cite à ce propos un sous-commentaire du Gaṇḍavyūha par le Chinois Zongmi 宗密 où il est dit notamment que les Yakṣa mâles ont des ailes et sont capables de voler dans l’air, qu’ils ne mangent que des petits enfants et résident au bas du ciel où ils gardent la Porte de l’Enceinte céleste (58). Gōhō note encore que, si depuis une époque ancienne, il y a une coutume selon laquelle on nomme les nouveaux-nés en les consacrant à Yasha-jin, ce serait parce que, cette divinité étant dévoreuse des enfants, on évite que ceux-ci soient mangés par elle en les lui dédiant ainsi(59). Ainsi, ce Yasha-jin qui mange les enfants et qui vole en l’air ressemble d’une manière étonnante aux ḍākinī.
Par ailleurs, à propos du fait que ce Yasha-jin est dit “dévoreur des enfants”, il est possible de relever une correspondance tout à fait remarquable dans la littérature indienne. Nous avons vu ci-dessus qu’une version du conte du prince Kalmāṣapāda était citée dans le sūtra apocryphe Renwang-jing ; or, il en existe une autre version plus complète traduite en chinois, dans le Sūtra du Sage et du Fou, qui raconte l’histoire suivante(60) (le conte du roi Kalmāṣapāda était connu aussi dans la littérature indienne ; il existe au moins une version dans le Mahābhārata, et une autre dans le Viṣṇu-purāṇa(61)) :
Un jour, un roi parti à la chasse dans la forêt, s’y égara et rencontra une lionne ; celle-ci s’éprit de lui, et le roi ne pouvant pas refuser, s’accoupla à elle. Plus tard, la lionne enfanta un fils, de la forme humaine mais avec les pieds tachetés (d’où le nom de Kalmāṣapāda, “Pieds-tachetés”). Ce fils a grandi et est devenu roi. Or, un jour, par un accident, il irrita un Sage, qui lui jeta un sort ; il prédit que le roi mangerait pendant douze ans de la chair humaine. — Après quelque temps, le cuisinier du palais du roi s’aperçut tout à coup qu’il n’y avait plus de viande dans le magasin royal. Pour se procurer de le viande, il sortit du palais, mais trouva sur le chemin le corps d’un enfant mort. Il le ramena et en fit un plat qu’il servit au roi. Celui-ci le trouva tellement bon qu’il appella le cuisinier et lui ordonna de lui servir tous les jours le même plat, même si cela coûte la vie des enfants vivants... Les habitants du royaume se plaignèrent que leurs enfants étaient volés tous les jours et étaient tués. Le roi dut avouer devant les ministres que c’était lui qui ordonnait au cuisinier le meurtre des enfants. Les ministres décidèrent de tuer ce souverain devenu un ogre ; mais au moment d’être attaqué, le roi fit serment de devenir un terrible rākṣasa volant ; et sur le champ, il se transforma en un rākṣasa... C’est après cela qu’il devint chef d’un grand nombre de rākṣasa malfaisants, ravagea le pays, et décida de tuer mille rois pour en faire un grand festin...
Le reste de l’histoire est à peu près le même que dans la version du Renwang-jing. Ainsi, c’était le roi Kalmāṣapāda qui était “mangeur des enfants” — comme la célèbre ogresse Hārītī, mais aussi comme ce Yasha-jin gardien de la Porte Centrale du Tōji.
Le conte du roi Kalmāṣapāda nous réserve encore une autre surprise : c’est qu’il en existe une version (en réalité une courte allusion) dans le Laṅkāvatāra-sūtra ; et là, le texte sanskrit dit que le roi Kalmāṣapāda eut des enfants qui étaient des ḍāka et des ḍākinī(62). Nous retrouvons ainsi ces ḍākinī liées étroitement à Kalmāṣapāda lui-même. L’intéressant est qu’au Japon, où ce conte a sans doute beaucoup impressionné les docteurs bouddhistes, on le retrouve encore dans une histoire relative cette fois à Gaṇeśa. En effet, dans certains ouvrages consacrés à l’iconographie et au rituel ésotériques, on peut lire cette légende bien curieuse :
Au pays de Marakeira 摩羅醯羅 [nom formé probablement sur “Makeishura 摩醯首羅” transcription usuelle du sk. Maheśvara, c’est-à-dire Śiva], il y avait un roi qui ne mangeait que de la viande de bœuf et des radis. Bientôt, il n’y eut plus de bœuf dans le pays. Le peuple servit [au roi] de la viande des hommes morts. Mais bientôt, les hommes morts commencèrent à manquer aussi. [Le roi se] servit alors de la viande des hommes vivants. A ce moment, les ministres et le peuple levèrent les quatre armées pour tuer ce roi. Alors, le roi se transforma en un grand Génie-démon Vināyaka [= forme démoniaque du dieu-éléphant Gaṇeśa]. Il devint chef de tous les Vināyaka, et, en volant en l’air, s’en alla. Après cela, dans le royaume, il y eut une épidémie [causée par le roi devenu Vināyaka]. Les ministres et le peuple invoquèrent le vœu de miséricorde d’Avalokiteśvara aux Onze Faces. [En répondant à leur prière, celui-ci] se transforma en une Vināyaka femelle, et séduisit la mauvaise pensée du [roi Vināyaka]. Celui-ci fut tout ravi, et il n’y eut plus cette épidémie dans le pays. Ainsi le peuple put enfin retrouver la paix(63).
Ainsi, on retrouve une influence diffuse du mythe du roi Kalmāṣapāda non seulement dans Yasha-jin du Tōji, mais aussi dans le Gaṇeśa japonais, lequel est une des divinités composantes de Yasha-jin / Matara-jin.
En fait, le nom de Matara-jin est connu au Japon surtout comme celui d’une divinité protectrice de l’Ecole Tendai (elle aurait apparu à Ennin 圓仁 ou à Saichō 最澄, sur le bateau, lors de leur voyage de retour de la Chine) : il est représenté généralement comme un homme noble habillé à la japonaise, à la manière des divinités du shintō, et portant un tambour. Il était vénéré à la porte d’arrière (ushiro-do 後戸) du Jōgyō-sammai-dō 常行三昧堂 du Hiei-zan 比叡山. Matara-jin est célèbre aussi comme le Vénéré principal d’un Rituel d’Onction Tendai nommé Genshi-kimyō-dan 玄旨歸命壇, qui aurait comporté des éléments sexuels de la même manière que le Tachikawa-ryū 立河流 du Shingon, mais dont la réalité reste obscure du fait qu’il a été l’objet d’une répression sévère(64). Or, on trouve dans le chapitre sur Dakini-ten du Keiran-shūyō-shū cette curieuse remarque sur Matara-jin(65) :
Un enseignement oral dit : «Matara-jin n’est autre que le Dieu Mahākāla (Makakara-ten 摩訶迦羅天) ; c’est aussi Dakini». Le serment originel de ce Dieu [i.e. Matara, ou Mahākāla ou Dakini ?] dit, d’après le Sūtra : «Lors de l’agonie [des hommes], j’irai à leur endroit et mangerai le foie des cadavres ; c’est pourquoi, à leur agonie, [les hommes] peuvent obtenir la pensée juste [qui leur permettra d’aller naître dans la Terre pure]. Si je ne mangeais pas leur foie, ils ne pourraient pas obtenir la pensée juste, et ne pourraient pas aller naître [à la Terre-pure]». [...] Selon un autre Sens, [il est dit que] Matara-jin est le Dieu Mahākāla ; il s’agit, [comme il est dit dans] le Sūtra du Secret de la Prolongation [de la longévité] des Six mois d’une divinité [i.e. Dakini ?] qui ravit l’esprit vital de tous les Etres ; le Dieu Mahākāla la dompta et écarta le malheur dû à ce démon ravisseur de l’esprit vital. C’est ainsi [que l’on peut obtenir] la pensée juste au moment de l’agonie. Il faut songer [à ce propos] au Rituel secret de la Réussite des Six mois.
Bien que la teneur de cette “exégèse” soit bien obscure, on peut au moins comprendre qu’elle se réfère au mythe de la soumission des ḍākinī par le Buddha Mahāairocana transformé en Mahākāla (on se souviendra aussi de l’interprétation du même mythe donnée par Chōgō, qui était un moine Tendai à peu près contemporain de Kōjū, l’auteur du Keiran-shūyō-shū [cf. ci-dessus]). Que ce Matara-jin de l’Ecole Tendai ait été identifié ou associé à Mahākāla ou à Dakini est bien compréhensible, si l’on tient compte du fait que le nom de Matara remonte certainement au sk. mātaraḥ (ce qui est plus difficile à comprendre est le fait que ce Matara-jin a été représenté comme une divinité masculine ; mais c’est un autre problème que nous laisserons ici en suspens...). Il n’empêche que, étant donné le fait que, au temps de Kōjū, l’équivalence “mātaraḥ ~ Matara” semble avoir été tout à fait perdue de vue, les associations avancées dans ce passage doivent supposer une intuition de la “logique mythologique” étonnante de la part des docteurs qui les ont proposées.
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6. Inari, Dakini-ten et les recettes d’amour Retourner à la Table des Matières
Ainsi, en tout cas, le “cercle mythique” de Matara-jin / Yasha-jin se referme, en entraînant dans sa spirale tourbillonnante diverses “divinités singulières”, telles que Mahākāla, ḍākinī / Dakini-ten, Gaṇeśa / Vināyaka, le roi Kalmāṣapāda, et Inari, etc. Mais en réalité, les rapports entre Inari et certaines de ces divinités pouvaient être devinés par un texte que nous avons déjà mentionné, qui est le Shin-sarugaku-ki de Fujiwara no Akihira (composé vers 1052). Ce texte qui se présente comme une sorte de petite guide encyclopédique de Kyōto du milieu du XIe siècle, met en scène la famille d’un certain Uemon-no-jō 右衞門尉 de l’Ouest de Kyōto qui va se promener, une nuit, dans les quartiers populaires de la ville. En parlant de chacun des membres de cette famille — fictive, bien sûr —, l’auteur peut décrire les métiers et les quartiers de la ville. Cet Uemon-no-jō a trois femmes, dont la principale est la plus vieille ; elle a maintenant 60 ans, et est jalouse des deux autres plus jeunes qu’elle. Pour s’attirer l’attention et l’amour de son mari, elle va prier les divinités qui sont réputées être efficaces pour ce genre de choses. Ainsi, dit le texte(66),
...elle fait des offrandes à Shōten (Vināyaka), mais les effets ne se font pas sentir. Elle vénère le Dieu Ancêtre des Chemins (Sae-no-kami 道祖), mais il semble qu’il n’y ait pas la réponse attendue. [Aussi, elle va] à “la Fête des Hommes” (Otoko-matsuri 男祭) chez la tōme 専 [i.e. la Renarde] d’Iga 伊賀(67) à la Pente du Renard (Kitsune-zaka 野干坂) où la tōme danse en frappant des oreilles de mer en forme de sexe féminin ; [ou bien alors, elle va] chez Akomachi 阿小町 d’Inari(68) qui pratique la “recette de l’amour” (aihō 愛法) et se réjouit en maniant des morceaux de bonites séchées en forme de phallus... [Ou encore, elle va faire] des offrandes de pâte de riz sur mille plataux au Dieu Ancêtre des Chemins de l’Avenue Gojō 五条, ou des offrandes de riz dans cent corbeilles au Yasha-jin du Tōji...
Dans ce texte du XIe siècle, on voit que Vināyaka (~ Gaṇeśa) et Yasha-jin du Tōji sont déjà associés à Inari (et à sa renarde). D’une manière semblable, des divinités comme Dieu Ancêtre des Chemins ou Inari, ou la Renarde d’Inari sont invoquées dans un texte de rituel consacré à Dakini-ten (Dakini-saimon ダキニ祭文), qui a pour but de s’attirer l’amour des hommes pour les femmes et celui des femmes pour les hommes, texte qui a été rédigé vers la fin de l’époque Heian (XIIe siècle ?), et dont un manuscrit a été retrouvé au temple Kōzan-ji 高山寺 de l’Ecole Shingon(69).
De fait, l’élément érotique est une des caractéristiques remarquables du culte d’Inari à l’époque ancienne. Fujiwara no Akihira, l’auteur du Shin-sarugaku-ki, a décrit dans un autre ouvrage une fête d’Inari, au cours de laquelle il y avait une sorte de spectacle comique érotique(70) :
En mimant pour cette occasion un couple de mari et de femme, [un homme] imite le vieillard affaibli et se fait le mari, [alors qu’une femme] imite la jeune fille et se fait la femme. Au début, ils échangent des mots d’amour, et ils en arrivent à la fin à s’accoupler. Parmi les spectateurs de la capitale, hommes et femmes, personne ne peut résister à rire à la gorge déployée et à tordre les entrailles. C’est le comble de la frivolité vulgaire...
Comme le note Matsumae Takeshi, cette mimique peut être considérée probablement comme le vestige d’un rituel ancien où les officiants-acteurs représentaient l’homme le dieu du sol du Mont Inari et la femme la déesse “mère” d’Inari ; le spectacle représentait probablement une sorte de hiérogamie et la naissance divine d’Inari(71). Cette affinité avec l’élément érotique était une raison suffisante pour que beaucoup de femmes vinssent vénérer Inari dans l’intention de s’attirer l’amour des hommes de hauts rangs, et pour qu’Inari ait la réputation d’une divinité donneuse de bonheur matrimonial(72).
Ainsi en tout cas, nous pouvons croire que vers le milieu du XIe siècle (le Shin-sarugaku-ki remonte à 1052), Inari, le renard et les ḍākinī / Dakini-ten étaient étroitement associés. Il y avait d’une part la glose chinoise explicite de la grande dhāraṇī du Sinciput de Buddha Parasol Blanc, où les ḍākinī étaient identifiées au “démon de renard lutin” ; d’autre part, le Shosetsu-fudōki de Shinjaku 眞寂, où les mêmes démones étaient rapprochées du renard, datait de la première moitié du Xe siècle (Shinjaku est mort en 927) ; ces deux données ont certainement suffi pour que cette association s’établît et qu’elle s’enracine dans la croyance du peuple. On peut bien penser qu’ainsi, au milieu du XIe siècle, les ḍākinī n’étaient plus seulement pour les Japonais des ogresses affreuses hantant les cimetières, mais aussi, comme Inari et le renard (ou la renarde) en lequel celle-ci s’incarne, une divinité féminine qui répand une irrésistible et mystérieuse attraction érotique ; tout en gardant un caractère effrayant et macabre, les ḍākinī étaient devenues la divine Dakini-ten...

7 Mystique bouddhique du Pouvoir impérial
A. Origines bouddhiques de la théologie shintoïste
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Il était nécessaire de tenir compte de tout cet arrière-plan mythique et religieux du Japon de la fin de l’époque Heian 平安 pour comprendre le développement spécial du culte de Dakini-ten / Inari, dans la direction de la mystique bouddhique du pouvoir impérial qui aura une grande importance dans l’idéologie japonaise du Moyen âge.
La “mystique bouddhique du pouvoir impérial” peut paraître peut-être comme un concept assez inattendu et paradoxal concernant la royauté japonaise de l’antiquité et du Moyen âge. En effet, on a généralement tendance à croire que l’idéologie impériale du Japon est comme un «apanage» excusif du shintō, et que le bouddhisme n’a eu, sinon rien à voir avec elle, que des rapports tout à fait accessoires à cet égard. Cependant, cette manière de voir commence à être ébranlée sérieusement ces dernières décennies. Que l’idéologie et la religion shintō aient été de tout temps le fondement ultime de la royauté japonaise, et partant de l’Etat japonais en général, et que, malgré quelques périodes où elles furent superficiellement perméables à l’influence bouddhique, elles soient restées foncièrement toujours les mêmes, pures de toute contamination extérieure —, tout cela paraît être une fiction forgée de toutes pièces par l’idéologie nationaliste de l’époque Edo et de Meiji et renforcée par l’ultra-nationalisme des années 1930-1945.
Pour être complet, nous aurions dû ouvrir ici une longue parenthèse, où nous aurions pu essayer de montrer, en nous appuyant surtout sur les études très rénovatrices du regretté Kuroda Toshio 黒田俊雄, le rôle capital que le bouddhisme a joué dans la formation de la religion shintō(73). Manquant de place et de temps pour entrer dans les détails de ce problème important, on doit se contenter de faire quelques remarques générales qui semblent nécessaires.
Il faut insister d’abord sur un fait qui n’est pas directement démontrable, mais qui nous paraît évident : c’est que jusqu’à une certaine époque, qui peut être située probablement dans la seconde moitié du Moyen âge, le seul “langage philosophique ou métaphysique”, ayant une portée universelle (ou, du moins, à prétention universaliste), disponible aux Japonais a été le bouddhisme. Nous voulons dire par là que, jusqu’au moment où la philosophie néo-confucianiste a été importée, toute la pensée philosophique japonaise “parlait”, et ne pouvait “parler” que le langage bouddhique (le confucianisme avant sa rénovation de l’époque Song ne semble pas avoir été un système métaphysique au même titre que le bouddhisme ; c’était plutôt un code social, moral et politique... ; d’autre part, la pensée de la “Voie du Yin et du Yang”, ommyō-dō 陰陽道, était plus une pensée magique et pratique qu’une métaphysique). Une autre remarque doit être ajoutée à celle-ci : c’est que, à notre avis, une des caractéristiques tout à fait remarquables du bouddhisme japonais (au moins à partir de la fin de l’antiquité) semble être sa tendance à fonder le plus possible “le phénoménal” (on peut dire aussi bien “l’historique” ou “le factuel”) sur “le transcendental”. — Expliquons-nous, et prenons pour cela l’exemple de la pensée chrétienne : ce qui a été réellement révolutionnaire dans l’apparition du christianisme, et qui a été une des sources permanentes du dynamisme extraordinaire du monde occidental, nous semble être le fait qu’il a en quelque sorte “enfoncé” sur le sol du phénoménal, du factuel ou de l’historique “un pieu du transcendental” ; autrement dit, c’est la théologie historique, qui donne à l’histoire humaine un sens transcendental (bien sûr, la théologie historique chrétienne est elle-même fondée sur la théologie et l’eschatologie juives ; mais c’est bien le christianisme qui a porté cette idée à une dimension universelle). La naissance d’un petit enfant — un petit fait tout à fait anodin — prend une signification non seulement “historique” du point de vue humain, mais bien plutôt une signification cosmique, ou “méta-cosmique”, quand cet enfant est appelé “Jésus de Nazareth” ; ce petit fait tranche toute l’histoire humaine en deux, car la personne historique de Jésus est une incarnation du divin dans le monde. On peut dire que c’est «un fait transcendental», concept tout à fait aberrant du point de vue de la philosophie pure(74). — A l’opposé de cette pensée chrétienne, il est possible de situer la pensée hindoue, pour laquelle l’histoire humaine est superposée sur un cycle mythique, et où les valeurs ont un caractère tellement universel et atemporel que les faits phénoménaux n’ont pratiquement aucune prise sur elles. Le bouddhisme indien garde ce caractère “a-historique” : bien que la personne de Śākyamuni soit un fait historique, elle est vite “récupérée” dans le cycle mythique des “apparitions des Buddha dans le monde” (cf. les Cinq Buddha du passé d’abord ; plus tard, les Mille Buddha, etc.) ; et bientôt, dans le Grand Véhicule, la multiplication des Buddha mythiques finit par donner libre cours à une sorte de “docétisme échevelé”, dans lequel la réalité historique du Buddha Śākyamuni sera pour ainsi dire tout à fait engloutie. Importé dans le monde chinois, cet “a-historicisme” du bouddhisme commence à s’estomper : il y aura par exemple des mouvements populaires de tendance eschatologique qui prétendent se fonder sur l’autorité de certains mythes bouddhiques (comme par exemple la venue du Buddha Maitreya). Mais c’est bien au Japon que les “faits transcendentaux” font leur apparition avec la plus grande force. Ici, ce n’est pas nécessairement le cours de l’histoire humaine qui prend un sens métaphysique ; au lieu de la “théologie historique”, on pourrait parler peut-être d’une sorte de “géographie mystique”. Le Japon, par exemple, dont le nom est écrit avec les caractères chinois signifiant “Origine du Soleil” (Nihon 日本), serait un pays qui appartient directement au Buddha Mahāvairocana, car le nom de ce Buddha est traduit en sino-japonais par les caractères ayant le sens de “Grand Soleil” (Dainichi 大日) ; de même, telle ou telle chaîne montagneuse dans le Kansai est identifiée, l’une au Maṇḍala du Plan de la Matrice et l’autre au Maṇḍala du Plan du Diamant, etc. C’est aussi de la même manière que la mythologie japonaise, la royauté de l’empereur ou encore la dynastie impériale doivent être fondée sur quelque vérité universelle et intemporelle de la mystique bouddhique... Ainsi, il semble bien que — malgré le fait évident qu’il a existé depuis une très haute antiquité un ensemble de coutumes religieuses indigènes distinct du bouddhisme — ce qu’on peut appeler le système théologique du shintoïsme ait été forgé de toutes pièces au cours du Moyen âge par référence à la mystique bouddhique.
La formation de cette mystique bouddhique d’Etat a sans doute été favorisée par les institutions politico-religieuses de la fin de l’époque Heian : les hautes dignités des grands temples étaient des fonctions officielles auxquelles étaient nommés les membres des familles de la haute aristocratie (beaucoup appartenaient à la famille impériale elle-même) ; des cérémonies de rituels ésotériques très coûteuses étaient organisées à des occasions de toutes sortes, pour la santé de l’empereur, pour la naissance du prince héritier, pour l’obtention de la pluie, etc. Beaucoup d’empereurs retirés devenaient moines (hōō 法皇), sans aucunement s’abstenir des affaires d’Etat. L’époque du gouvernement des empereurs retirés (de la seconde moitié du XIe siècle jusque vers 1221) a vu une vogue sans précédent de toutes sortes de pratiques ésotérico-magiques(75) dont on ne peut pas minimiser l’importance même du point de vue philosophique : en effet, par le fait même que c’est une pratique magique, elle s’appliquait nécessairement à des faits très concrets, à des phénomènes historiques, mais en même temps, elle était fondée sur un système grandiose de la philosophie métaphysique et cosmologique du bouddhisme...
Une institution en particulier pourra retenir notre attention : c’est celle des «Moines Protecteurs» (goji-sō 護持僧), c’est-à-dire les moines choisis parmi les supérieurs des plus grands temples ésotériques, qui étaient spécialement attachés à la personne des empereurs, des empereurs retirés et des princes héritiers. Ils devaient rester à la cour, et passer toutes les nuits dans la pièce contiguë à la chambre à coucher de l’empereur, à faire la veillée de prières pour la protection du corps impérial et pour la prospérité du pays(76). Il est certain que par leur présence même à la cour, ces moines devaient penser personellement et continuellement à l’empereur ou à la royauté et à la signification qu’elle pouvait avoir dans la métaphysique bouddhique ; et d’une façon complémentaire, l’empereur et les détenteurs du pouvoir devaient avoir l’esprit toujours occupé par des choses bouddhiques. On peut dire que, au moins à partir de la fin de l’époque Heian, la complémentarité et l’interdépendance entre la Loi Royale et la Loi bouddhique (le terme consacré est “ōbō-buppō sōe 王法佛法相依”) étaient pour ainsi dire parfaites dans l’Etat du Japon.
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B Jien et son rêve. Symbolisme sexuel de la mystique impériale Retourner à la Table des Matières
Après ces remarques d’une portée générale, il sera intéressant d’examiner un texte où cette “mystique bouddhique du pouvoir impérial” est représentée d’une manière exemplaire. Il s’agit d’un passage d’un ouvrage sur les “arcanes” de l’ésotérisme Tendai écrit par Jien 慈圓 (1155-1225), — qui, bien que son nom ne soit pas connu autant que celui, par exemple, de Shinran 親鸞, doit être considéré par bien des côtés comme l’un des fondateurs les plus marquants du bouddhisme japonais du Moyen âge (d’ailleurs, Shinran, dans sa jeunesse, a été disciple de Jien(77)). — Encore trop peu connu en dehors des spécialistes, il convient de présenter brièvement ce moine, qui fut nommé trois fois Supérieur de l’Ecole Tendai (Tendai zasu 天台座主), et qui fut l’un des théoriciens les plus importants de la doctrine de cette «interdépendance de la Loi bouddhique et la Loi royale».
Jien 慈圓 est né dans une famille de la plus haute aristocratie du Japon, la famille Fujiwara de la branche Nord (Fujiwara Kita-ke 藤原北家), celle qui, de génération en génération, remplit la fonction de Régent et de Grand Rapporteur (sesshō-kanpaku 攝政關白) de l’Etat ; ainsi, son père Tadamichi 忠通 et plusieurs de ses frères aînés (notamment Kanezane 兼實) furent Régents et Grands Rapporteurs, d’autres furent supérieurs des temples importants, et ses trois sœurs furent mariées à des empereurs. Mais il est né à une époque extrêmement critique, à un moment où l’ancien système du pouvoir, de nature essentiellement aristocratique, commençait à s’écrouler rapidement et où un régime nouveau fondé sur la violence des guerriers allait s’instaurer dans des troubles sans précédent dans l’histoire japonaise. Le pouvoir effectif que le clan Fujiwara avait détenu pendant les Xe et XIe siècles était déjà devenu presque nominal pendant le règne des empereurs-retirés (insei 院政) mais maintenant, c’était le tour des empreurs retirés eux-mêmes qui se voyaient privés du pouvoir réel. Et plus ce pouvoir aristocratique ancien était dans uns situation critique, plus il avait besoin de s’entourer de l’autorité idéologique — qu’elle soit mythique, mystique ou cosmologique... Jien n’était pas seulement d’une haute naissance, mais il était personnellement doué de beaucoup de talents ; il était un poète né, l’un des intellectuels les plus achevés de l’époque, un politicien subtil, et sans doute un religieux extrêmement savant et sincère. L’un de ses ouvrages les plus célèbres, intitulé “Gukan-shō 愚管抄” ou “Notes des vues étroites d’un idiot”, est un des premiers essais de l’histoire nationale du Japon, où l’on peut déceler une certaine philosophie de l’histoire bouddhique comparable à la théologie historique chrétienne, dans ce sens qu’elle tente de trouver un sens métaphysique dans les événements historiques, même si le contenu de ce sens est totalement sans rapport avec ce que la théologie historique chrétienne essaye de voir dans le cours de l’histoire. Jien était spécialement versé dans les théories et les pratiques de l’ésotérisme Tendai ; peut-être ne fut-il pas un génie religieux comme certains fondateurs des grandes Ecoles, mais on peut sans doute le considérer comme celui qui paracheva le système grandiose de la religion Tendai, qui était une sorte de synthèse éclectique de tout l’exotérisme et de tout l’ésotérisme antérieurs, une synthèse fondée sur une philosophie mystique extrêmement radicale(78). C’est bien cette synthèse Tendai qui fut la matrice de toute la religion médiévale du Japon, que ce soit le shintoïsme ou le shugendō ou encore les Ecoles “réformatrices” de l’époque Kamakura (la plupart de celles-ci se sont créées par réaction contre ce Tendai, considéré par leurs fondateurs comme corrompu et dégradé ; néanmoins, on ne peut nier le fait qu’elles sont sorties de cette synthèse Tendai ; de plus, après une période d’une certaine révolte, la plupart d’elles furent bien vite récupérées par le grand courant Tendai). Dans ce sens-là, on peut certainement dire que Jien fut l’un des fondateurs les plus importants de ce que le professeur Kuroda Toshio a appelé le «système exotérico-ésotérique» (kenmitsu-taisei 顯密體制) de la religion japonaise du Moyen âge, qui fut bien le cadre référenciel de toute la religion japonaise à partir du XIIe ou le XIIIe siècle (cf. les références de notre note 73).
Le texte dont il s’agit est un appendice ajouté à la fin du premier chapitre de l’ouvrage intitulé Notes particulières sur l’abhiṣeka (Bizei-betsu 毘逝別), où Jien rapporte un rêve qu’il fit la nuit du 22 du sixième mois de 1203 (rappelons que Jien avait été nommé juste une année avant, en 1202, à la fonction de «Moine Protecteur» attaché à la personne de l’Empereur retiré Go-Toba 後鳥羽院(79)). Voici donc comment il décrit ce rêve étrange et les réflexions qu’il fit sur ce rêve :
A l’aube du 22 du sixième mois de la troisième année de l’ère Kennin 建仁 [1203], je fis ce rêve :
Parmi les Trésors de la maison royale(80), [il y a] le Sceau divin (shinshi 神璽) et le Joyau-Epée (hōken 寶劍). Or, ce Sceau Divin est la Fille de Jade (gyokunyo 玉女) ; et cette Fille de Jade, c’est le corps de la Reine. Quand le Roi, qui est pur de caractère propre (jishō-shōjō 自性清淨 ; sk. prakṛti-prabhāsvara), pénètre le corps de cette Fille de Jade, et s’accouple [avec elle], le [Roi,] actif, et la [Fille de Jade] passive, sont [tous deux] dépourvus de péché. C’est pourquoi, le Sceau Divin est un joyau de jade tout pur.
Je compris cela dans mon rêve, et après, à peine réveillé, j’eus diverses pensées là-dessus :
Ce rêve doit correspondre au «Sceau de l’Epée et du Fourreau du Roi Acala» (Fudō tō-shō-in 不動刀鞘印) : l’Epée [d’Acala de ce Sceau], c’est le Joyau-Epée [des Trois Joyaux Divins], et c’est le corps du Roi ; le Fourreau [du Sceau de l’Epée d’Acala] est le Joyau-Sceau, et c’est le corps de la Reine. Ainsi, la jonction-accouplement (kōe 交會) de l’Epée et du Fourreau, [que sont le Roi et la Reine,] réalise (jōju 成就) ce Sceau. Le Roi Acala doit être considéré comme le Vénéré que le Roi doit vénérer spécialement comme son Vénéré principal (honzon 本尊) [c’est-à-dire, comme le protecteur attitré du Roi].
J'eus cette pensée aussi : le Sceau Divin est la Mère de Clan Buddhalocanā (Butsugen bumo 佛眼部母, Œil du Buddha), qui n’est autre que la Fille de Jade. Le Saint-Roi-tournant-la-Roue-d’or (Konrin-jōō 金輪聖王, sk. ārya cakravarti-rāja), c’est [le Sinciput de Buddha de] la Roue d’or d’une seule Lettre (Ichiji-kinrin[-bucchō] 一字金輪[佛頂], Ekākṣara-Uṣṇīṣa-cakravartin) ; [ce rêve] semble signifier que ce Sinciput de la Roue d’or s’accouple à Buddhalocanā. Le Joyau-Epée n’est autre que le Saint-Roi-tournant-la-Roue-d’or ; et si, sur l’autel du rituel de Buddhalocanā, on pose toujours l’Epée de la Sapience [i.e. l’Epée du Roi Acala], et si, [sur le maṇḍala de Buddhalocanā,] des Huit Moyeux de la Roue [d’or que tient le Sinciput de Buddha de la Roue d’or d’une Lettre] il y a [Huit] Epées qui dépassent, c’est en raison de ce Sens(81). Ainsi, [l’union de] ce [Joyau-]Epée et de ce Sceau [Divin] est [le symbole de] la Réalisation (jōju 成就, sk. siddhi) de l’unité de l’Etat ; ce sont ces Joyaux Royaux qui font réaliser à la fois la Loi Royale et la Loi bouddhique, et qui font gouverner le pays dans l’ordre et répandre le bienfait au peuple.
Le naishi-dokoro 内侍所 [au sens propre, le bâtiment de la cour impériale où était gardé le Miroir Divin, mais ici le Miroir Divin lui-même] est appelé aussi “le Miroir Divin” : [c’est] le Fils du Ciel (tenshi 天子) qui naît de [l’accouplement de] ces deux sortes [de Joyaux Divins], et c’est lui qui est le corps de la Grande Divinité Qui Eclaire le Ciel (Amaterasu ōmi-kami 天照大神), laquelle n’est autre que le Tathāgata Mahāvairocana (Dainichi-nyorai 大日如來) [Tathāgata Grand Soleil]. Celui-ci, pour le bénéfice des Etres, manifeste la forme du [Sinciput de Buddha de] la Roue d’or d’une seule Lettre. Ce [Sinciput de] la Roue d’or relève du Plan de Diamant, et l’origine-modèle (hon 本) du Roi est le Saint-Roi-tournant-la-Roue-d’or. C’est en empruntant ce Sens au monde des Buddha que [le Roi] manifeste ce corps [dans le monde profane].
D’une façon générale, dans [l’enseignement du Shingon, i.e. l’Esotérisme], c’est le Rituel qui est le fondement (hon 本) sur lequel se manifeste la Voie du bénéfice des Etres ; et [toute pratique du Rituel ésotérique] est l’Activité qui manifeste le Sens [mystique des Buddha] dans le monde profane. Ainsi aussi, on rapporte qu’à la cérémonie de l’intronisation du Roi dans le monde profane, au moment où celui-ci se met sur le Haut-Trône (taka-mi-kura 高御倉 [dans le texte, mais on écrit plus usuellement 高御座]), on lui fait former le Sceau du Poing de la Sapience (chiken-in 智拳印), en imitation du Roi [Sinciput] de la Roue d’or (Kinrin-ō 金輪王, expression qui peut être aussi une forme abrégée de “Saint-Roi-tournant-la-Roue-d’or”, Konrin-jōō 金輪聖王) qui est la transformation du Buddha Mahāvairocana. C’est le Buddha Mahāvairocana du Plan du Diamant, qui, en laissant la Trace de son Origine, répand le bienfait chez les Etres. Dans le Soleil qui laisse la Trace de son Origine, c’est [le Buddha] Mahāvairocana [Grand Soleil] qui est la Cause, et le Roi [Sinciput] de la Roue d’or (Kinrin-ō) qui est le Fruit. Les sens profonds du Véhicule Supérieur du Shingon pourront être déduits de ce fait-là...(82)
Les réflexions de Jien continuent encore sur plusieurs pages, mais le passage traduit nous suffira pour le moment.
Ce texte d’une extrême difficulté ne pourrait être compris pleinement qu’à la lumière de longs commentaires qui se référerait à tout le système de la philosophie et de la pratique ésotériques du Tendai du XIIIe siècle (cf. les références de la note précédente). On aura au moins remarqué la présence d’un symbolisme érotique ou sexuel, diffus mais très accusé tout au long de ce texte. Ici, nous nous arrêterons à un seul trait, qui semble avoir été peu commenté par les auteurs qui ont étudié ce texte : il s’agit du «Sceau de l’Epée et du Fourreau du Roi Acala» dont parle Jien au début. On sait que le Roi-de-Science Acala a pour attributs une épée (souvent représentée enflammée) et une corde, et qu’un des Sceaux les plus importants de ce Vénéré, appelé le plus souvent le «Sceau de l’Epée de Sapience» (etō-in 慧刀印), est formé des deux mains : on étend l’index et le médius des deux mains, alors que le pouce est sur les bouts de l’annulaire et de l’auriculaire ; et l’on fait pénétrer l’index et le médius de la main droite dans la paume de la main gauche(83). — Or, l’image de ce Sceau évoque la forme spéciale d’Acala qui a été créée au Japon, qui est appelée Kurikara-ryūō 倶利迦羅龍王 (“Roi-Dragon Kurikara”) : ici, Acala est représenté comme un serpent-dragon lobé en spirale autour d’une épée enflammée immense, laquelle est plantée sur un roc, la pointe de la lame en haut ; le serpent ouvre grand sa gueule au-dessus de la pointe de l’épée, comme s’il allait l’engloutir. Selon la tradition, cette image serait formée par la combinaison des deux attributs d’Acala, à savoir l’épée qui représente le tranchant aiguisé de la Sapience bouddhique, et la corde qui symbolise les liens de l’Inscience qui attache les Etres au monde de la transmigration(84). Le Mochizuki bukkyō daijiten cite à propos de cette image l’interprétation d’un ouvrage qui semble remonter à peu près à la même époque que l’écrit de Jien (Kaku-Gen shō 覺源鈔, dont l’un des auteur, Kakukai 覺海 a vécu de 1142 à 1223(85)). Il y est dit(86) :
[Le Serpent] Kurikara est le Plan des Etres (shōkai 生界) ; l’Epée est le Plan du Buddha (bukkai 佛界). [La forme du Roi-Dragon Kurikara] symbolise la pénétration de l’Epée de la Sapience du Plan du Buddha dans le corps du Plan des Etres, [ce qui réalise] le Sens de la non-dualité des Etres et du Buddha. C’est la raison pour laquelle Kurikara est représenté comme s’il allait engloutir l’Epée. C’est parce que Kurikara est le Plan des Etres qu’il est dessiné sous la forme du serpent, et parce qu’[il est en même temps (?)] le Plan du Buddha qui manifeste la Sapience tranchante qu’il est dessiné sous la forme de l’épée.
Ici aussi, le symbolisme sexuel est tout à fait évident. Ce qui nous paraît particulièrement frappant dans ces images est le fait qu’on peut retrouver dans le symbolisme mythique hindoue des formes qui leur ressemblent d’une manière tout à fait étonnante : c’est notamment le symbole śivaïte/śākta du liṅga planté dans le yoni, qui, à bien des égards, peut être considéré comme la représentation visuelle de la plus haute idée du divin (śivaïte/śākta) à la fois cosmique et métaphysique. Si l’on se souvient qu’une bonne partie d’images mythiques de l’ésotérisme bouddhique remonte aux (ou au moins a des rapports profonds avec les) images mythiques du śivaïsme, et que, en particulier, le Roi-de-Science Acala n’est autre sans doute qu’une forme bouddhisée de Śiva-Bhairava lui-même, cette ressemblance pourra paraître moins fortuite. Il n’empêche que, par le biais de cette forme spéciale d’Acala qu’est le Roi-Dragon Kurikara, nous pouvons retrouver dans l’image du «Sceau de l’Epée et du Fourreau du Roi Acala» évoquée par Jien un reflet lointain, mais indéniable, des représentations métaphysico-sexuelles du śivaïsme hindou. En même temps, le fait que Jien a recours à cette image précisément pour se représenter l’«impeccabilité» de la sexualité du Souverain et de la Reine (du Japon) montre à la fois combien la “distance mythique” entre l’Inde et le Japon était petite à cette époque, et combien profonde était la manière dont le transcendant était lié au factuel dans l’esprit de ce moine japonais.
Ce symbolisme sexuel qui apparaît d’une façon si insistante dans ce texte peut paraître étonnant, surtout parce qu’il concerne le fondement métaphysique et sacré de la royauté. On pourra citer à ce propos un autre texte de Jien, qui peut sembler plus scandaleux encore : on le trouve dans un colophon ajouté à un commentaire (shiki 私記) sur le Birushana-butsu betsugyō kyō (毘盧遮那佛別行經) que Jien écrivit en 1210, et où il rapporte que, la nuit même où il acheva cet ouvrage, il fit un rêve dans lequel l’Empereur retiré (Go-Toba) et lui-même furent unis comme “le mari et la femme (fūfu-no-gi wo jōji-tatematsuri... 奉成夫婦之儀)”, et qu’à ce moment, l’Empereur retiré manifesta à son égard “une grâce telle qu’il ne la méritait pas” ; que, bien qu’il lui soit impossible de rapporter les détails, le rêve avait les caracètres d’un rêve de Réalisation (de vœu), comportant des signes de coïncidences, ce par quoi il fut réjoui profondément [ce qui signifie que les fastes signes du rêve lui semblaient annoncer que le contenu de son commentaire était conforme à la vérité](87). Il est évidemment impossible d’inférer de ce texte qu’il existât quelque relation homosexuelle entre l’Empereur retiré et Jien ; néanmoins, il est certain qu’il témoigne des préoccupations constantes de Jien à l’égard de la personne de l’Empereur retiré (à cette époque, c’était bien les empereurs retirés qui représentaient la vraie royauté de l’Etat japonais), et que celles-ci avaient un caractère toujours fortement teinté de symbolisme sexuel.

C “Sexualité impériale” dans le Japon de la fin de l’antiquité et au début du Moyen âge Retourner à la Table des Matières
Comment peut-on s’expliquer une telle prédominance du symbolisme sexuel ? On conçoit facilement que dans toutes les institutions royales, la reproduction de la lignée royale constitue une donnée capitale, et que, par conséquent, les rapports sexuels entre le Roi et la Reine, et l’enfantement du Prince héritier, donnent lieux à des images symboliques importantes. On doit tenir compte aussi du fait que dans l’antique cérémonie japonaise de l’intronisation du nouvel empereur (daijō-sai 大嘗祭), il exista une partie tenue dans un secret absolu, au cours de laquelle se déroulait probablement une mimique de l’hiérogamie entre le nouvel empereur et une divinité (sans doute la déesse Amaterasu en tant qu’ancêtre et origine de la dynastie impériale)(88).
Cependant, on peut croire qu’il y avait des raisons spéciales au Japon, surtout à cette époque, pour que ce symbolisme se développe d’une manière si particulière. En effet, on peut penser que les plus grands moyens déployés dans les luttes de pouvoir à la cour impériale à cette époque (à cette époque en particulier, mais la même chose est vraie plus ou moins à toutes les époques) étaient les relations matrimoniales et les naissances des enfants impériaux. On pourrait dire que chaque aristocrate haut placé et chaque empereur ou chaque empereur retiré ne pensaient qu’à une chose, à savoir mettre au trône celui dans le corps duquel il aura transmis la plus grande quantité de son propre sang. Ainsi, des scandales matrimoniaux de toutes sortes pullulaient à la cour.
On citera ici seulement un cas typique, celui de la “politique matrimoniale” de l’Empereur Shirakawa 白河天皇 (1053-1129 ; règne de 1072-1087), mais on trouverait de nombreux autres cas semblables. Fils aîné de l’Empereur Go-sanjō 後三条天皇 (1034-1073 ; règne de 1068-1072), l’Empereur Shirakawa fut intrônisé en 1072, à l’âge de 19 ans, et son père mourut bientôt en 1073, après avoir désigné comme prince héritier le frère cadet de Shirakawa, Sanehito 實仁親王. Mais celui-ci mourut à son tour en 1085, en laissant un autre frère cadet, Sukehito 輔仁親王, comme candidat au titre de prince héritier. Cependant, l’Empereur avait lui-même un fils, âgé alors de 7 ans, auquel il tenait tout particulièrement, parce qu’il venait de perdre la mère de celui-ci qu’il avait aimée d’un amour fort tendre. Contrairement à la volonté de son père décédé, il nomma donc ce fils au titre de prince héritier, et abdiqua immédiatement pour le faire monter au trône : ce fut l’Empereur Horikawa 堀川天皇 (1079-1107 ; règne de 1086-1107), qui n’avait à ce moment que 8 ans. Plus tard, quand ce nouvel Empereur eut 13 ans, son père l’Empereur retiré lui donna comme épouse sa propre sœur cadette, qui avait 32 ans... Ce couple n’eut pas d’enfant (et pour raison...!) ; aussi l’Empereur retiré donna à son fils une autre femme, fille de Fujiwara no Sanesue 藤原實季, qui était lui-même un oncle de l’Empereur retiré (la nouvelle épouse était donc une des cousines germaines du père de l’époux). Celle-ci put mettre au monde un garçon, qui monta au trône à l’âge de 4 ans, en 1107, après la mort de son père : ce fut le nouvel empereur, l’Empereur Toba 鳥羽天皇 (1103-1156 ; règne de 1107-1123), à la fois petit-fils et fils de la cousine germaine de l’Empereur retiré Shirakawa. Entre temps, l’Empereur retiré Shirakawa avait adopté une fille de Fujiwara no Kinzane 藤原公實 (1053-1107), un fils de Fujiwara no Sanesue, qui était née en 1101 (fille donc d’un de ses cousins germains). Cette fille, appelée Tamako 璋子, devint bientôt l’objet d’un amour fou de l’Empereur retiré ; dans son jeune âge, il la choya de toutes les manières, et lorsqu’elle fut adolescente, il l’aima comme une femme, eut des relations sexuelles avec elle (on croit qu’elle était d’une beauté remarquable). Cependant, il la maria à son propre petit-fils, l’Empereur Toba, en 1117 (lui avait 14 ans, et Tamako, 16 ans) : ce fut un marriage entre son petit-fils et sa fille adoptive. Mais même après ce mariage, l’Empereur retiré, qui avait alors plus de 64 ans, continua à avoir des relations avec sa fille adoptive, et de ces relations est né un enfant, qui sera plus tard l’Empereur Sutoku 崇徳天皇 (1119-1164 ; règne de 1123-1141). En 1123, l’Empereur retiré Shirakawa avait déjà 70 ans, mais il gardait encore tout son pouvoir ; il fit abdiquer son petit-fils l’Empereur Toba, pour mettre au trône son arrière petit-fils — qui, pourtant, était en réalité son propre fils — (l’Empereur Toba, avant le mariage avec Tamako, semble n’avoir rien su des rapports de sa future jeune épouse avec son grand-père ; mais il l’a su évidemment quand elle fut enceinte du futur Empereur Sutoku. D’après une source, l’Empereur retiré Toba appelait ironiquement son fils, l’Empereur Sutoku, “mon oncle de fils” [oji-go 叔父子]...)(89).
Cet exemple, parmi d’autres, montre sans doute l’atmosphère tendue et obsessionnelle qui régnait à la cour impériale vers la fin de l’époque Heian. On pourrait dire qu’à cette époque, toute la cour impériale et la haute aristocratie étaient devenues pour ainsi dire une famille immense, où tous étaient liés à tous par des liens de sang plus ou moins forts. Pour dire crûment, le problème sexuel était bien au centre de toutes les préoccupations relatives à la royauté ; et comme l’a rappelé si justement M. Abe dans un de ses articles qui traitent du rêve de Jien, celui-ci appartenait à la famille — la famille Fujiwara de la branche Nord — dont la fonction principale dans la cour consistait précisément à fournir à la dynastie impériale les femmes par lesquelles elle pouvait assurer la continuation de sa lignée (par contrecoup, c’est en donnant les femmes à la dynastie le plus efficacement possible que cette famille pouvait assurer son pouvoir immense sur tout le pays ; le titre pratiquement héréditaire de “Régent” donné aux aînés de cette famille était fondé en dernière analyse sur cette fonction particulière)(90). On pourrait dire que, en tant que métaphysicien mystique de la famille Fujiwara de la branche Nord, Jien était en quelque sorte prédestiné à justifier du point de vue de la métaphysique cette royauté, si particulière, du Japon de la fin de l’antiquité et du début du Moyen âge ; et on pourrait dire aussi bien que c’est par sa situation si spéciale par rapport à cette royauté, que Jien a su si bien scruter sa nature foncière.
Par ailleurs, on devrait invoquer d’autres raisons aussi pour s’expliquer l’importance du symbolisme sexuel dans la religion — et l’epistèmè — japonaise médiévale en général. On se souviendra d’abord du fait que toute la pensée du bouddhisme ésotérique se fondait sur l’opposition complémentaire entre les Deux Grands Maṇḍala, du Plan de la Matrice (féminin) et du Plan du Diamant (masculin), opposition qui avait une forte tendance à “se sexualiser” ; et cette pensée du bouddhisme ésotérique s’était combinée de plus avec les croyances, fortement sexualisées aussi, de l’ommyō-dō 陰陽道, la “Voie du Ying et du Yang”, qui avait envahi la vie quotidienne de l’aristocratie par la voie magique(91). D’autre part, à partir de la fin de l’Antiquité et tout au long du Moyen âge, un intérêt nouveau et passionné pour la mythologie antique japonaise voit le jour. Cela est dû sans doute (au moins en partie) à la crise du pouvoir de la fin de l’Antiquité, et en particulier à la crise de la conscience en ce qui concerne la légitimité de la royauté japonaise : toute la couche intellectuelle se retourne vers la mythologie antique qui explique la création du Japon et de l’origine de la royauté, et s’efforce de l’interpréter sur la base de la cosmologie et de la métaphysique bouddhique. Ce mouvement de réinterprétation allégorique de la mythologie japonaise par la mystique bouddhique, particulièrement développé chez les intellectuels plus ou moins en rapport avec le Sanctuaire d’Ise 伊勢神宮, donne naissance à toute une nouvelle mythologie que l’on s’est accoutumé, depuis les travaux d’Itō Masayoshi, d’Abe Yasurō et d’autres, d’appeler du nom de “chūsei Nihon-gi 中世日本紀”, c’est-à-dire les “Chroniques Japonaises médiévales”(92). Et dans cette nouvelle mythologie, l’une des données qui ont le plus marqué les esprits fut la formation du couple primordial, Izanagi et Izanami, et la création/naissance des principaux dieux et du Japon lui-même. Ainsi, c’est l’acte sexuel primordial et cosmogonique, réinterprété à la lumière de la métaphysique bouddhique, qui doit assurer la légitimité du Japon et de la royauté japonaise.
Ainsi, on peut dire que des formes de religion telles que le Tachikawa-ryū étaient exceptionnelles dans le Moyen âge japonais seulement dans ce sens qu’elles représentaient cette espitèmè médiévale d’une manière particulièrement typique.
*      *



(42)    Le nom Inari s’écrit le plus souvent 稻荷, mais il existe aussi une autre graphie 伊奈利. Cette dernière graphie a une valeur purement phonétique, alors que la première, composée des caractères signifiant “riz” et “porter”, semble faire allusion à la nature de la divinité, qui paraît être une divinité de la nourriture. C’est peut-être la graphie 伊奈利 qui est la plus ancienne. Retourner au texte
(43)    Gorai Shigeru 五來重, 1985, in Gorai, dir., 1985, p. 3-74, notamment p. 8-30. Retourner au texte
(44)    Cf. Matsumae Takeshi 松前健, 1988A, p. 6-10. Retourner au texte
(45)    Le joyau ou la pierre précieuse peut être l’«appui matériel» dans lequel l’âme s’incarne. Le mot tamashii, qui a le sens d’âme, est formé sur tama. — Sur le concept de tama, v. par exemple un essai classique d’Orikuchi Shinobu 折口信夫, 1975, p. 260-276. Retourner au texte
(46)    Cf. Yoshida Atsuhiko 吉田敦彦, 1976, p. 8-40, notamment p. 19-20. Retourner au texte
(47)    Cf. Matsumae Takeshi, 1988A, p. 8-9, p. 17-22 ; Shintō daijiten 神道大辭典, s.v. Ōmiya-no-me-no-mikoto ; Sekai-shūkyō daijiten 世界宗教大事典, s.v. Ame-no-uzume-no-mikoto, Saruta-hiko-no-ōkami, etc. Retourner au texte
(48)    Gorai, 1985, p. 11-12, p. 16-17 ; Kume Toshiko 粂稔子, 1985, p. 711-715, p. 727-732 ; Miyata Noboru 宮田登, 1988, p. 115-120. — Cf. Rémi Mathieu, 1984, p. 99 et n. 72, pour le renard mangeur de charogne. — Anne Bouchy, 1984, p. 59-65 insiste sur l’importance de la religion de possission dans le culte d’Inari. Bien que nous ne puission pas nous étendre sur cet aspect du culte d’Inari, ce point de vue nous semble aussi d’une importance capitale. Retourner au texte
(49)    Cf. Kondō Yoshihiro, 1978, p. 199-200. Retourner au texte
(50)    Cité par Itō Yuishin 伊藤唯眞, 1988, p. 43-44. Retourner au texte
(51)    Itō Yuishin, 1988, p. 46-50. — Mais selon une hypothèse d’Itō Yuishin, la tradition elle-même peut avoir eu ses origines vers le milieu du Xe siècle. Retourner au texte
(52)    Itō Yuishin, 1988, p. 50-62. Retourner au texte
(53)    Itō Yuishin, 1988, p. 64-65. Retourner au texte
(54)    Tttt. LXXVIII 2493 614a15-21. Retourner au texte
(55)    La tc. Matara 摩多羅, pour le sk. mātaraḥ, est employée p. ex. dans le Mañjuśrīmūlakalpa, T. XX 1191 iv 852c6. Retourner au texte
(56)    Cf. Tachikawa Musashi, 1990, p. 60-62, fig. 54-55, etc. Retourner au texte
(57)    Cf. Ananda K. Coomaraswamy, 1971, Part II, Pl. 8-1 ; Laurence Cohen, 1991, p. 123, p, 126 sq., p. 129, p. 133, etc. Retourner au texte
(58)    Kegonkyō gyōganbon sho shō 華嚴經行願品疏鈔, vi, Z. I VII recto b12-14. Retourner au texte
(59)    V. le texte dans la collection Zoku-zoku-gunsho-ruijū 續々群書類從, XII, p. 7b8-8a13 ; ce texte est cité dans Sasama Yoshihiko 笹間良彦, 1988, p. 14-15. — La coutume ancienne à laquelle le texte fait allusion doit être probablement une coutume selon laquelle on nommait les petits enfants du nom de "Yasha-maru 夜叉丸” par exemple. — Il existe actuellement au Tōji deux statues en bois de divinités en colère, qui semblent remonter au Moyen âge, et qui sont nommées “Yasha-jin” (v. une photo au début du volume Kyōto makai meguri). Cependant, ces statues n’ont qu’une face. Les rapports entre ces deux Yasha-jin et le Yasha-jin / Matara-jin, à trois faces, dont parle Shukaku ne sont pas clairs ; mais s’il est impossible de les identifier simplement, du moins il est certain qu’ils sont étroitement liés les uns à l’autre. Retourner au texte
(60)    Tt. IV 202 xi 425a18-427a5 ; cf. Et. Lamotte, 1966, p. 260-262 et les notes pour les autres versions bouddhiques. Retourner au texte
(61)    R. N. Saletore, 1981-1985, vol. II, p. 657-658. Retourner au texte
(62)    Cf. D. T. Suzuki, 1932, p. 216 ; dans les versions chinoises, il est dit simplement que ces enfants étaient des rākṣasa. Cf. T. XVI 671 viii 563a26 et T. 672 vi 624a4. Retourner au texte
(63)    Kakuzen-shō 覺禪鈔 TZ. V 3022 cv 452c17-26 ; v. aussi Byakuhō-ku-shō 白寶口抄 TZ.VII 3119 cxxxi 181c3-11 qui cite la même légende. Cf. encore R. A. Stein, 1981B, II, p. 20 du tiré-à-part ; Id., 1986, p. 38 ; James H. Sanford, 1991, p. 291-292 et n. 31. Retourner au texte
(64)    Sur cette divinité, v. Kageyama Haruki 景山春樹, 1975, p. 317-340. Retourner au texte
(65)    Tttt. LXXVI 2410 xxxix 632c28-633a3, a6-9. Retourner au texte
(66)    Shin-sarugaku-ki 新猿樂記 et Unshū-shōsoku 雲州消息 de Fujiwara-no-Akihira, édité et commenté par Shigematsu Akihisa 重松明久, 1982, p. 14-16 ; sur ce texte, cf. aussi Kondō Yoshihiro, 1978, p. 199-200 ; Tanaka Takako 田中貴子, 1994, p. 128-130 et sq. ; Id., 1993A, p. 271. Retourner au texte
(67)    Tōme signifie “vieille femme”, mais a le sens aussi de “vieille renarde magique”. Ici, il doit s’agir d’une médium censée incarner l’esprit de la renarde magique. Iga est le nom d’une région, mais remonterait à la même racine que le mot uka, “nourriture” ou “riz”. Retourner au texte
(68)    Akomachi est le nom d’une renarde magique messagère d’Inari, mais il doit s’agir ici aussi d’une médium nommée Akomachi, censée incarner l’esprit de cette renarde. “Komachi” se dit d’une jeune femme réputée par sa beauté ; “A” est un préfixe mis devant des sobriquets. Retourner au texte
(69)    Tanaka Takako 田中貴子, 1994, p. 128-130 et sq. ; Abe Yasurō 阿部泰郎, 1989, p. 147 et n. 73. Retourner au texte
(70)    Fujiwara no Akihira, Unshū-shōsoku 雲州消息, édité et commenté par Shigematsu Akihisa, 1982, p. 90. Retourner au texte
(71)    Matsumae Takeshi, 1988A, p. 24-25. Retourner au texte
(72)    On peut trouver de nombreux exemples dans Kondō Yoshihiro, 1978, p. 58-86 ; cf. aussi Tanaka Takako, 1993A, p. 206, p. 272-274. Retourner au texte
(73)    Cf. Kuroda Toshio 黒田俊雄, 1975, p. 253-330 ; Id., 1983, p. 52-78 ; Id., 1990, p. 35-59. Sur les travaux de Kuroda Toshio, cf. aussi un numéro spécial du Japanese Journal of Religious Studies, Fall 1996, 23/3-4 ; cf. aussi, par exemple, Sueki Fumihiko 末木文美士, 1993, p. 347-371. Retourner au texte; Retourner au text supra.
(74)    Sur ce point, cf. Iyanaga, 1988, p. 124-137. Retourner au texte
(75)    Cf. par exemple Hayami Tasuku 速水侑, 1987 ; Id., 1975. Retourner au texte
(76)    Sur l’institution de goji-sō, cf. Abe Yasurō, 1989, p. 123-124 et sq. ; Id., 1990B, p. 113b-c ; Mochizuki bukkyō daijiten 望月佛教大辭典, p. 1249a-b. Retourner au texte
(77)    Cf. Tanaka Takako, 1993A, p. 95. Retourner au texte
(78)    Sur Jien, v. Taga Munehaya 多賀宗隼, 1959 ; Abe Yasurō, 1990B, et la bibliographie à la page 119 ; cf. aussi une traduction anglaise du Gukan-shō par Delmer M. Brown et Ichirō Ishida, 1979. Retourner au texte
(79)    Abe Yasurō, 1990B, p. 113c-114a. Retourner au texte
(80)    Il s’agit des “Trois Joyaux Divins” (sanshu jingi 三種神器) qui sont bien connus dans la mythologie japonaise : ce sont une Epée, un Sceau et un Miroir, qui, d’après la mythologie, furent donnés au dieu ancêtre de la dynastie impériale Ninigi-no-mikoto 瓊瓊杵命 par la déesse solaire Ama-terasu ōmi-kami 天照大神. Ces objets sont transmis de l’empereur à l’empereur et sont considérés comme des regalia, objets-symboles qui justifient et assurent l’autorité de la royauté japonaise. Selon la tradition, le Miroir serait gardé comme “le Corps Divin” (go-shintai 御神體) au Sanctuaire d’Ise 伊勢, l’Epée comme “le Coprs Divin” au Sanctuaire d’Atsuta 熱田 ; à la Cour impériale, il y aurait seulement le Sceau, avec des imitations du Miroir et de l’Epée. Sur les “Trois Joyaux Divins”, cf. Anna Seidel, 1981. — Toute une mythologie commence à se former autour de ces Joyaux vers la fin de l’époque Heian, juste au moment où le pouvoir impérial commence à se trouver dans une situation critique. La plus grande crise arrive avec la fin de la domination du clan Taira 平家 : l’Empereur Antoku 安徳天皇, petit-fils par sa mère de Taira no Kiyomori 平清盛, accéda au trône à l’âge de trois ans (en 1180) ; attaqués par les Minamoto 源氏, les Taira emmenèrent Antoku dans leur fuite, et à Dan no Ura 壇の浦 (dans lactuelle Préfecture de Yamaguchi 山口縣), quand ils furent vaincus définitivement, toute leur famille se précipita dans la mer en entraînant Antoku qui n’avait encore que huit ans (le troisième mois de 1185). L’Epée et le Sceau parmi les Trois Joyaux Divins furent entraînés aussi avec le jeune Empereur dans la mer ; le Sceau a pu être retrouvé mais l’Epée fut perdue pour toujours. Cette perte fut considérée comme un dommage d’une extrême gravité pour l’autorité de la royauté et comme le signe d’une volonté surnaturelle (plus tard, le Sanctuaire d’Ise fabriqua une autre imitation de l’Epée et l’offrit à la Cour). Cf. Shintō daijiten, p. 631c-632a ; sur plus de détails, v. encore Abe Yasurō, 1989, p. 118-121 ; Id., 1985, p. 38-45. — Jien écrivait donc moins de vingt années après cette perte de l’Epée dans la mer. Retourner au texte
(81)    Sur le rituel Tendai de Buddhalocanā, v. par exemple l’Asaba-shō 阿娑縛抄, TZ. IX 3190 lxii-lxv 68a2-95c27. — Nous n’avons pas pu vérifier s’il existe une tradition sur les “Huit Epées qui dépassent des Huit Moyeux de la Roue d’or” ; mais en ce qui concerne la présence d’un (ou deux) Epée(s) sur l’autel du rituel de Buddhalocanā, on trouve bien dans l’Asaba-shō des indications qui l’attestent. V. ibid., TZ. IX 3190 lxv 94-95. Retourner au texte
(82)    Bizei betsu 毘逝別, i : texte dans la collection Zoku-Tendai-shū zensho 續天台宗全書, Mikkyō 密教 III, Kyōten-chūshaku-rui 經典註釋類 2, Tōkyō, Shunjū-sha 春秋社, 1990, p. 231b14-232a16 ; ce texte a été retrouvé et édité pour la première fois par Akamatsu Toshihide 赤松俊秀, 1957, p. 317-335 ; v. aussi Id., ibid., p. 301-316. Ce texte a été étudié par de nombreux auteurs : v. une bibliographie dans Abe Yasurō, 1990B, p. 119 ; la plupart des études mentionnées ci-dessus, n. 4, y touchent de près ou de loin ; on y ajoutera encore une étude du point de vue de la bouddhologie, Misaki Ryōshū 三崎良周, 1988, p. 545-563. Retourner au texte
(83)    Sur ce Sceau, cf. Toganoo Shōun 栂尾祥雲, 1982A, p. 320, fig. 19-31 ; p. 488 Retourner au texte
(84)    Mochizuki bukkyō daijiten, p. 4486a-c et sq. ; p. 735a-c. Retourner au texte
(85)    Mochizuki bukkyō daijiten, p. 408c-409a. Retourner au texte
(86)    Mochizuki bukkyō daijiten, p. 735a. Retourner au texte
(87)    Birushana-butsu betsugyō kyō shiki 毘盧遮那佛別行經私記 (ou Hikyō-shō 祕經鈔), dans Zoku-Tendai-shū zensho, Mikkyō III, Kyōten-chūshaku-rui 2, p. 24a6-11. Cf. Abe Yasurō, 1990B, p. 116b-c. Sur cet ouvrage, v. aussi Misaki Ryōshū, 1988, p. 537-545. Retourner au texte
(88)    Ce qui se faisait au cours de cette partie secrète du daijō-sai est un sujet de controverses continuelles, mais dont on ne peut probablement pas attendre de réponse définitive, puisqu’il semble n’exister aucun document qui le décrive. Sur ce sujet, cf. par exemple Nakamura Ikuo 中村生雄, 1994, p. 165-185, surtout p. 181-185. Retourner au texte
(89)    Sur tout ceci, v. l’étude extrêmement fouillée de Tsunoda Buṅei 角田文衞, 1985. — Vue plus générale dans Hotate Michihisa 保立道久, 1990, p. 62-70. Retourner au texte
(90)    Abe Yasurō, 1990B, p. 115b-c. Retourner au texte
(91)    Sur ce point, cf. surtout Bernard Frank, 1958 ; Murayama Shūichi 村山修一, 1981. Retourner au texte
(92)    Cf. les différents travaux cités à la note 4, et aussi Iyanaga, 1997, p. 379-381. Retourner au texte


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